Une tribune pour les luttes

Guinée, le drame ignoré.

par Tierno Monénembo

Article mis en ligne le vendredi 26 janvier 2007

En ce moment même, l’armée tire sur les grévistes dans les rues de Conakry.

Des lycéens, des mères de famille, des ouvriers et des enseignants sortis exprimer leur ras-le-bol de la misère et de l’oppression tombent sous les balles d’un de ces régimes archaïques et sanguinaires auxquels les maîtres de ce monde ont confié les mines d’Afrique. Aucune caméra ne les filmera, aucun journaliste ne témoignera des derniers instants de leur agonie.

A Conakry, il n’y a pas d’agence de presse, pas de bureau de TF1 ou de CNN. Ils ne sont pas fous dans les médias : on envoie des correspondants seulement là où les nouvelles sont possibles. Or, en Guinée, jamais rien de nouveau, pour ainsi dire : bientôt cinquante ans que les pendaisons publiques et les massacres de rue s’y succèdent sans émouvoir personne. S’il fallait passer au 20 heures tous les pauvres types qui se font canarder par des dictateurs à travers le monde ! S’ils étaient télégéniques, au moins, les cadavres de Conakry ! D’ailleurs, ça se trouve où, la Guinée ?

A force de crever dans son coin de solitude et de tyrannie, ce pays a fini par disparaître des atlas et des statistiques. Ignorée des touristes, boudée par les journalistes, abandonnée par les organisations humanitaires, la Guinée est devenue un gigantesque camp de concentration où le premier tyran venu peut torturer et tuer à satiété sans perturber ni la conscience des champions des droits de l’homme ni les cocktails des diplomates.

Il y eut un temps où la patrie de Camara Laye passait pour un nouveau Cuba, et Sekou Touré, son leader d’alors, pour un autre Che Guevara. Les bons journaux (ceux de gauche !) ne tarissaient pas d’éloges sur lui. Les syndicalistes et les leaders communistes et socialistes se bousculaient à Conakry pour se faire photographier à côté du « camarade africain ». Les professionnels de la révolution et autres apôtres de la bonne cause ne se contentèrent pas de le chanter, ils le déifièrent tout bonnement. Ils le soutinrent jusque dans ses crimes les plus abominables.
Seulement, quand les monceaux de cadavres se mirent à surpasser les murailles du camp Boiro et que leur odeur commença à se propager, ils firent ce qu’ils ont l’habitude de faire : ils se réfugièrent dans le silence et détournèrent leurs regards vers d’autres ferments révolutionnaires, d’autres théories fumeuses.

Aujourd’hui, mon pays n’intéresse plus personne. Après le Rwanda, le Liberia, la Côte-d’Ivoire ou la Somalie, que peuvent bien espérer les manifestants de Conakry ? Rien, absolument rien ! D’autant qu’ils ne se contentent pas de crever et de pourrir, ces salauds, ils le font sur les deux tiers de la bauxite du monde...

Jeudi 25 janvier 2007

Tierno Monénembo, écrivain guinéen

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Vos commentaires

  • Le 23 mai 2007 à 23:48, par koumbassa En réponse à : Guinée, le drame ignoré.

    Je viens de lire ce texte Mr Tierno...Merci pour toutes ces vérités que vous osez craché à la face du monde. Merci

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