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Egypte : "Dites à la France que le groupe Accor…"

Article mis en ligne le lundi 21 février 2011

http://crisdegypte.blogs.liberation...

21/02/2011

Voilà plus d’une semaine que le gouvernement égyptien de transition tente d’infléchir un "retour à la normale". Après l’évacuation de la place Tahrir le 13 février, on a cru un moment que l’ensemble de la population active s’empresserait de retrouver son activité au plus vite pour compenser les pertes endurées les semaines précédentes. Il n’en est pourtant rien, et c’est par centaines que se comptent les manifestations sur l’ensemble du territoire, par dizaines que se comptent les grèves dans la quasi totalité des secteurs de l’économie et des administrations publiques, désormais nourries de revendications sociales.

Vendredi 18 février, la révolution retrouve toute son épaisseur, confirmant une fois de plus son unité et sa détermination : 4 millions selon les manifestants, et pas un mot "selon la police" qui, pour l’heure encore, se fait plus discrète que jamais.

De rue en rue, manifestations d’archéologues, d’employés de banque, de sociétés privées.

C’est par hasard que nous sommes tombés sur une manifestation pas comme les autres, celle des employés de l’hôtel Sofitel Gezirah — hôtel du groupe français Accor.

Des employés aux mines angoissées se tiennent debout en silence, sur le parvis de l’hôtel Sofitel. Leurs pancartes indiquent qu’ils réclament leur droits et "ce qu’on leur avait promis".

Je pose des questions et dit quelques mot de ce blog. Une femme m’apostrophe : "Vous écrivez pour la France ?! Alors dites à la France que nous travaillons pour le Groupe Accor ! La France, c’est le pays du droit !".

Résumé de mes entretiens :

La direction de l’hôtel Sofitel a promis à ses employés, par contrat, le versement d’une participation aux bénéfices de l’entreprise. La participation promise n’a jamais été versée. Les contrats d’embauche stipulent également que les salaires sont complémentés par le reversement aux employés de la "taxe de service" de 12%, facturée aux clients pour chacune de leurs consommations. Après maintes demandes et plaintes du personnel, cet argent perçu au nom du "service" n’est pas redistribué.

Interrogés sur leurs salaires, les employés répondent d’une seule voix : "Nous touchons tous entre 300 et 500 livres égyptiennes. Quand on est employé à la réception, on touche 500 livres. Il y a des gens qui touchent plus, beaucoup plus, parce qu’ils ont un piston."

500 livres égyptiennes ? 62 euros, par mois. 300 livres égyptiennes ? 37 euros par mois.

A titre indicatif, 1 kilo de viande coûte 10 euros environ.

"J’ai trois enfants, je travaille depuis 23 ans !" dit Ahmed qui appelle les salariés à faire bloc et à ne pas succomber à la tentation de négocier leur situation au cas par cas auprès de la direction. Celle-ci vient justement de faire savoir qu’elle viendrait s’adresser au personnel, à condition que celui-ci s’éloigne du parvis.

En attendant, les employés continuent de me dire "tout ce que la France doit savoir" :

- Un des actionnaires principaux de l’hotel est l’ex-ministre du logement en prison depuis le 28 janvier 2011, Ahmed el Maghrabi.

- Le frère de l’ex-ministre, Sherif el Maghrabi, est président du conseil de direction.

- Les employés en poste, parfois depuis cinq ans, se voient renouvelés de CDD en CDD, sans aucune garantie de reconduction. Les CDD sont tantôt de 3 mois, de 6 mois, d’un an.

- Sur l’initiative et à la charge des employés, une plainte est déposée et remporte une réponse favorable du tribunal qui impose à l’hotel Sofitel le versement d’un dédommagement d’une valeur totale de 9 millions de livres égyptiennes, au bénéfice des 650 employés plaignants. Sofitel se contentera finalement de verser 1,3 millions de livres, dont 300,000 sont versés à l’avocat des plaignants. Le million restant est redistribué aux salariés qui reçoivent chacun 1500 livres environ, soit 186 euros.

Un homme, accompagné de quelques cadres s’approche de la foule. C’est le "General Manager" me dit-on, Rafik Khayrallah. Il s’adresse aux employés.

Extraits :

"Moi qui suis libanais, et qui ai connu la guerre, ça me fait mal au cœur de voir nos divisions. (…)
Pourquoi vous inquiéter du renouvellement ou non de vos CDD ? Si vous travaillez bien… on vous renouvellera ! Vous croyez qu’on vous emploie pour vos beaux yeux ? (…) Moi je n’ai aucun problème. Si les choses vont mal, je retournerai au Liban. C’est vous qui souffrirez le plus de la situation."

Jeudi 17 février, les employés de l’hotel s’étaient réunis pour presser Ayman Omar (Directeur des Ressources Humaines) pour le paiement de leurs primes et participations. Ce dernier leur promet une réponse dimanche 20 février. Puis, dimanche, sans nouvelle d’Ayman Omar, un groupe d’employés se rend à nouveau au bureau de celui-ci pour réclamer son verdict.

La réponse de ce dernier ne se fait pas attendre : "Vous n’avez qu’à vous immoler".

Je me suis rendu ce matin (21/02/2011) au Sofitel pour donner l’adresse du blog à quelques membres du personnel afin qu’ils puissent voir cet article et le faire circuler entre eux. L’un des employés s’est approché de moi et m’a murmuré à l’oreille : "Nous ne l’avons pas dit hier… ". Il s’arrête, hésite, avale sa salive et reprend : "C’est du racisme".

———

Crédit photo : Aalam Wassef, image libre de droit.


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